J’ai 12 ans.
J’aime lire et chanter.
Je me souviens du grand couloir au tapis de velours rouge qui menait au coeur de la synagogue. Avant d’y entrer, sur la gauche : le Talmud Torah où j’appris pendant plusieurs mois avec ferveur les chants en hébreu pour le grand jour de ma Bat-misvah.
La Bat-misvah est le pendant féminin de la Bar-mitzvah. Une cérémonie par laquelle la jeune fille juive marque sa majorité.
Je ne viens pas d’une famille religieuse encore moins pratiquante, ou peu. Ma mère est juive par sa mère (mon grand-père était d’origine catholique mais résolument athée) et mon père est protestant.
Il paraitrait qu’en sortant de la Bat-mitsvah d’une amie, je me postai devant mes parents en annonçant que moi aussi, je réunirai ma famille et mes amis pour ce rite de passage important.
Ils acceptèrent directement.
Je me souviens des railleries de mon entourage proche : “tu fais ça pour les cadeaux !” et surtout le conflit idéologique que je déclenchai dans ma famille.
Mon grand-père, jusqu’au dernier moment, menacera de ne pas venir à la synagogue.
Je me souviens de la tenue sur-mesure réalisée par une créatrice du quartier. Une jupe rose en organza avec une doublure en tulle et un débardeur kaki clair en satin avec trois petits papillons brodés sur le bas. Mes souliers : des ballerines Repetto en cuir bordeaux. Pour couvrir mes épaules : un cache-coeur Bonpoint crème, en maille de laine.
Ma mère prit grand soin que je choisisse tout moi-même. Jusqu’à l’énorme papillon jaune que j’arborai sur mes longues boucles brunes.
Je m’attarde sur mes vêtements, vous savez maintenant que c’est très important pour moi. Il s’agissait tout de même là de comment j’allais me présenter lors de ma première rencontre avec Dieu !
J’avais donc quatre papillons, bien en évidence sur moi.
Le grand jour arriva. Ce fut très beau. Ma grand-mère : tellement heureuse. Des membres de la famille firent le déplacement d’Israël. Autour de moi, tout le monde parut souriant, je chantai des extraits de la Torah de ma voix d’enfant, ce qui émut mes invités. Aux larmes, pour certains.
Je me rappelle du regard bienveillant du rabbin, comment il me fit me sentir en sécurité et légitime.
Mais la vérité, chers lecteurs, c’est que ce jour là, malgré les apparences, je perdis la foi.
Je m’attendais, en réalité, à quelque chose d’encore plus grand, une sorte d’illumination.
J’imaginais recevoir un signe. Et rien ne se passa.
J’en fus extrêmement déçue, frustrée et quelque part, je me sentis trahie. Trahie par Dieu.
Je décidai de taire cette déconvenue et la vie continua. Je ne remis plus jamais les pieds dans une synagogue.
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J’ai 17 ans.
J’aime toujours lire et chanter.
Je découvre le Yoga.
Je fus tout de suite mordue par la communion avec moi-même, créé par la pratique.
Plus tard, à 24 ans, je devins professeure de yoga et m’embarquai dans l’étude approfondie des textes. J’étudiai également d’autres textes sacrés, m’engouffrai dans la théologie, l’étude de l’âme et de notre raison sur Terre. J’étais en quête, à nouveau.
J’accédai à ma spiritualité et mon besoin de sens fut assouvi. Je me rencontrai.
Pendant ma formation de professeure, au Brésil, lors d’une méditation, je connus un grand moment de béatitude et d’apaisement. Je compris que toutes les réponses étaient en moi, que l’Univers tout entier était là, dans mon coeur. Je ne faisais qu’un avec lui. Nul besoin de chercher à l’extérieur.
Le Yoga n’est pas une religion. Je le vois comme une science, une boite à outils merveilleuse pour l’étude et la découverte de soi.
Lors de cette période, j’osai enfin parler de ma grande déception à la synagogue à ma famille. Je demandai alors à mon père pourquoi il ne s’était pas opposé à ce que je fasse ma Bat-misvah. Il me répondit en plaisantant :
“Je ne voulais pas que tu nous fasses une Diam’s et que, coupée dans ton élan dans ton enfance, tu fasses une crise identitaire lourde à l’adolescence, j’ai laissé faire.”
Ma grand-mère me révéla quelque chose d’encore plus troublant :
“Un soir, alors que tout le monde était parti pour shabbat à la synagogue - je n’étais pas allée, j’avais prétexté me sentir fatiguée - j’ai su que je ne voulais plus être religieuse. Comme ça, tout simplement. J’avais 19 ans, je mettais la table et quelque chose est parti de moi.”
- “MAIS MAMIE, pourquoi tu ne m’as pas dit ça plus tôt ?! Tu ne te sentais plus juive alors ?”
- “Bien sûr que si, je me sentais encore juive.” Le sourire qui suivit voulut tout dire.
Ma famille m’a laissé explorer, m’explorer. C’est un cadeau merveilleux.
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Récemment, j’ai eu un gros passage à vide. Je m’en suis remise. Sur le canapé douillet de ma psy, je me suis surprise à prononcer le mot foi à nouveau.
Une foi retrouvée, qui avait toujours été là. Une foi en moi.
Une foi inconditionnelle en la vie. La vraie.
Finalement, je ne pense pas avoir perdu la foi l’année de mes 12 ans. Sans le comprendre, je l’avais trouvé.
C’était le début de mon voyage. L’envol des papillons.
Je suis croyante, à ma façon.
S.
J'adore : "je suis croyante à ma façon", je le dis souvent. ça me fait un peu tiquer ce terme de croyant, comme s'il n'avait de légitimité que dans une voie religieuse précise. La question c'est plutôt de savoir en quoi chacun croit et pas s'il/elle coche le statut de croyant ou non, je crois (ah ah).