Il est 7h50.
Je me hâte sur le bitume parisien.
Il y a cinq minutes, je quittais la chaleur de mon foyer ; les petits, dans notre lit, blottis à leur père. Un énorme café englouti et “bisous les amours, Maman va travailler”.
Clac, la porte de l’entrée.
Clac, la lourde porte d’en bas.
Clac, les portes du métro.
Mon wagon file à toute allure vers le centre de Paris.
Les larmes me montent.
Première fois que je m’éloigne aussi loin et aussi longtemps de ma fille de 4 mois 1/2. Première fois que je vais travailler hors de chez moi depuis que j’ai recommencé en septembre.
Dans mes oreilles, What’s Up? des 4 Non Blondes. J’ai la gorge qui se serre. Je monte le son au maximum.
Aujourd’hui, je donne un cours à l’école Sup de Pub. J’ai mis mon trench beige Patine, des lunettes Jimmy Fairly. J’ai l’impression d’avoir mis mon déguisement pour une grande mascarade. Mes voisins dans le métro font la gueule. Évidemment.
Peut-être que j’ai envie d’être ailleurs. Au fond d’une forêt, avec ma famille, chassant et cueillant notre nourriture, telle une louve, telle une lionne.
Congé mat’, indemnités journalières, inscription à la crèche, première section, déclaration du chiffre d’affaire, payer la TVA, putain d’inflation, IR à la fin de l’année, faut que je passe en EI, n’oubliez pas de ramener le doudou la prochaine fois, t’as mis le gouter d’Eli dans son sac à dos, faut payer la nounou, c’est quoi la météo ce matin …
La femme française à un congé maternité de 16 semaines, après cela, elle est sommée de reprendre le travail. Je trouve ça diablement tôt. Pour soi et pour l’enfant.
ET EN MÊME TEMPS …
Être mère à temps plein, c’est un travail intense et prenant. De l’ordre de l’abnégation.
Dans ce wagon qui m’éloigne des miens, petit à petit, mes épaules s’affaissent et ce que je ressens : c’est du soulagement.
Dans ce wagon qui m’éloigne des miens et puis les jours et les semaines qui suivront, c’est vers moi que je vais aller. Je vais me retrouver.
Déjà, j’ai arrêté d’allaiter. J’ai retrouvé mon corps. 9 mois de grossesse, 4 mois d’allaitement, je vous laisse faire le calcul.
Ma fille est tout juste à la crèche et je savoure être seule. Chaque seconde, chaque minute. Au début, c’était dur, j’avais l’impression qu’elle était là, j’avais les oreilles aux aguets, en extrême vigilance.
Vigilance.
J’ai checké sur internet :
Je ne me méprends pas. La maternité est une aventure incroyable, qui transcende et qui transforme.
On apprend l’amour.
On apprend la résilience.
On apprend l’impermanence.
On apprend le soin. Le don.
On apprend à être animale.
On apprend à être soi, à être là.
On apprend l’ambivalence.
J’aime autant être cette mère animale, nourrissant son enfant qu’être cette autre femme, lunettes vissées sur le nez, parcourant la ville pour travailler.
Je veux tout.
Et si je veux tout, je dois me laisser traverser par mes émotions contraires.
Rien n’est sous contrôle.
Et c’est la clé.
Des baisers.
Bon week-end.
S.
Photo de la vignette : Joan Didion, son enfant et sa clope.
J’adore le discours qu’elle a donné un jour à des diplômés de l’UCR > ICI.
Elle y dit : “I'm not telling you to make the world better, because I don't think that progress is necessarily part of the package. I'm just telling you to live in it. Not just to endure it, not just to suffer it, not just to pass through it, but to live in it. To look at it. To try to get the picture. To live recklessly. To take chances. To make your own work and take pride in it. To seize the moment. And if you ask me why you should bother to do that, I could tell you that the grave's a fine and private place, but none I think do there embrace. Nor do they sing there, or write, or argue, or see the tidal bore on the Amazon, or touch their children. And that's what there is to do and get it while you can and good luck at it.”