đïž Elle perçut une clameur sourde ...
Elle ferma les yeux. Dâabord, elle nâentendit rien. Elle trouva la situation absurde. Elle alla sâhabiller rapidement, ĂŽta la serviette de ses cheveux, enfila ce quâelle trouva, saisit un coussin sur son lit.
Elle sâinstalla Ă nouveau au centre du salon, lâoreille tendue. Commença alors ce quâelle appellera plus tard : âsa premiĂšre sĂ©ance dâĂ©couteâ.
Elle perçut une clameur sourde.
Au loin, elle entendit Ă nouveau le bruit de verres qui s'entrechoquent et des couverts sur des assiettes. Puis, des murmures dâhommes et de femmes ; des chaises qui se dĂ©placent sur le sol. Les voix furent dâabord inaudibles. Suzanne eut lâimpression dâentrer dans un vortex, les sons de plus en plus perceptibles. Une voix fĂ©minine se dĂ©tacha alors du brouhaha.
- â Quand je sens quelque chose, je ne me trompe pas. Jâai le sentiment quâIl arrive. Je le sens ici, lĂ , dans mon cĆur. Un commerçant mâa soufflĂ© au marchĂ© CorlbĂ© quâIl a dĂ©jĂ passĂ© la frontiĂšre Turque la semaine derniĂšre. Ce qui voudrait dire quâIl serait aux portes de la France ces jours-ci. Il faut que lâon prĂ©pare son arrivĂ©e. DĂšs demain, Ă lâembauche, il faudra psychologiquement prĂ©parer tout le monde, rĂ©union de crise. Galil jâai besoin que vous me prĂ©pariez une dĂ©pĂȘche Ă envoyer Ă ma sĆur en Angleterre. Elle doit se prĂ©parer aussi. â
- â Oui Reine Shonna. Cela sera fait. â
- â Merci mon cher Galil. Dites-moi ? Comment est le moral des artisans en ce moment ? â
- â Depuis la derniĂšre Lune, il me semble que la sĂ©rĂ©nitĂ© rĂšgne Ă nouveau. Une nouvelle apprentie Ă commencer au dĂ©partement dorure. Quand elle est Ă l'Ćuvre, elle chante. Comme les ateliers de dorure sont tout en bas, sa voix rĂ©sonne dans toute la galerie. La vieille Puina dit que cela a complĂštement changĂ© la consistance de lâor dans les chaudrons. â
- â Merveilleux, merveilleux. Jâavais vu dans les cartes quâune vibration sonore allait venir nous accompagner dans ce nouveau cycle compliquĂ©. Je ne pensais pas que ça allait se manifester de cette façon. Comment s'appelle-t-elle ? â
- âRachĂ©, elle a 20 ans. Je ne lâai pas encore vu. La vieille Puina lâa recrutĂ© Ă la derniĂšre Lune, elle vient du centre de la France ⊠Reine Shonna, je finis cette coupe et je me retire dans mes appartements si vous le permettez, jâai beaucoup Ă faire Ă lâaube demain.â
- âOui Galil, bien sĂ»r. Vous pouvez disposer. Je vous rejoindrai Ă 5H30 demain sur la rampeâ
Une chaise qui racle le sol, des pas sourds sur un parquet, une porte qui se ferme. Suzanne entendit Reine Shonna tirer sur une cigarette. Elle fut Ă©tonnĂ©e par le bruit de ce qui lui sembla ĂȘtre une cigarette Ă©lectronique. Reine Shonna vapotait.
Lâinconnue finit par soupirer. Un silence sâinstalla dans la piĂšce oĂč elle se trouvait.
Perplexe, Suzanne ressentit comme un anachronisme ⊠quel Ă©tait cet espace-temps quâelle percevait si clairement ? Elle avait lâimpression que Reine Shonna et ce Galil nâappartenaient pas Ă son XXIĂšme siĂšcle. Mais le bruit de la cigarette Ă©lectronique alors ? Elle ouvrit les yeux et Ă mesure quâils sâhabituĂšrent au noir complet de son salon, les bruits sâattĂ©nuĂšrent. Elle ferma les yeux Ă nouveau, dans lâespoir que les voix reviennent. Rien. Plus rien.
Rachel monta les escaliers quatre Ă quatre. ArrivĂ©e devant la porte de sa mĂšre, elle toqua pour prĂ©venir de son arrivĂ©e puis chercha ses clĂ©s dans son grand sac de toile. Elles avaient un jeu toutes les deux, câĂ©tait Ă celle qui serait la plus rapide Ă sortir les clĂ©s et ouvrir la porte ou parvenir Ă la porte pour lâouvrir. Suzanne Ă©tait assez forte Ă©tant donnĂ© le fouillis incroyable des sacs de sa fille. Cette fois-ci, Rachel nâentendit pas les pas de sa mĂšre se hĂąter derriĂšre la porte.
- âJe lâai !â elle brandit sa clĂ© face Ă elle comme si une foule la regardait.
Rachel introduisit la clĂ© doucement dans la porte. AprĂšs tout, sa mĂšre Ă©tait sĂ»rement en train de dormir. Depuis quâelle avait dĂ©cidĂ© de changer de vie deux ans auparavant, sa mĂšre avait changĂ© sa routine matinale, sâautorisant des grasses matinĂ©es en pleine semaine. Inimaginable pour une ancienne avocate dâaffaires, doublement mĂšre Ă 40 puis 42 ans, dont le programme Ă©tait autrefois rĂ©glĂ© comme du papier Ă musique.
La premiĂšre fille de Suzanne, quâelle avait eue Ă tout juste 20 ans, avait passĂ© une nuit agitĂ©e. Elle adorait dĂ©barquer chez sa mĂšre sans prĂ©venir pour chercher du rĂ©confort, une prĂ©sence. Elle se posait Ă cĂŽtĂ© dâelle et travaillait en silence des heures durant. Elle jetait des coups d'Ćil Ă sa mĂšre et lâobservait ĂȘtre dans ce nouveau costume dâĂ©crivaine. Sa mĂšre avait tout changĂ© dans sa vie en lâespace de deux ans, trouvant un nouvel Ă©quilibre qui la faisait resplendir, ce qui donnait - en ricochet - de la force Ă sa fille.
Elle trouva sa mĂšre dormant Ă mĂȘme le sol du salon sur un grand tapis persan, un gros coussin sous la tĂȘte et couverte par un chĂąle, des feuilles Ă©parpillĂ©es tout autour dâelle, son ordinateur encore ouvert en Ă©quilibre sur plusieurs gros livres, le fil de connexion avait Ă©tĂ© tirĂ© depuis le bureau. Le rideau de lin gris virevoltant dans lâembrasure de la fenĂȘtre plus loin. Rachel sourit devant ce tableau. âMaman, quel clichĂ©Â !â pensa-t-elle. Elle lui ajusta le chĂąle et sâaventura Ă dĂ©chiffrer lâĂ©criture de son ancienne avocate de mĂšre sur les feuilles. Elle parvint Ă lire âLa vieille Puinaâ entourĂ©e plusieurs fois au stylo noir et suivi dâune rangĂ©e de points dâexclamation. Elle ne se souvint pas dâun personnage nommĂ© Puina dans le roman quâĂ©crivait en ce moment sa mĂšre. Elle marcha Ă pas feutrĂ©s vers la cuisine, ferma la porte et prĂ©para un petit-dĂ©jeuner.
- âTu es lĂ ma fille.â
Rachel sursauta.
La suite dans deux semaines.
Vous venez de lire un deuxiĂšme extrait de âOn ne meurt pas comme çaâ. (le premier extrait : ICI)
Un samedi sur deux, vous pourrez lire ce roman (ou peut-ĂȘtre cette nouvelle) que j'Ă©cris maintenant depuis trois ans.
J'ai bien réfléchi et je veux le partager ainsi, au fil de sa création.
N'hésitez pas à me faire des retours !
Des baisers doux.
S.